En 2023, la croissance du marché mondial du luxe a dépassé les 1 400 milliards d’euros, portée par une clientèle plus jeune et plus avertie. Un changement de paradigme s’opère : la visibilité ostentatoire cède du terrain face à la discrétion des codes et à la rareté maîtrisée.Des griffes historiques revoient leur stratégie, tandis que de nouveaux acteurs imposent des règles inédites en matière de désirabilité. Les maisons qui misent sur le quiet luxury redéfinissent les critères de reconnaissance et d’influence, bouleversant la hiérarchie traditionnelle des leaders du secteur.
Quiet luxury : un nouveau souffle dans l’univers du luxe
Finis les logos affichés en grand sur toutes les vitrines. La mode s’amuse désormais à préférer la retenue à la proclamation, la sophistication qui s’exprime dans la précision d’une coupe ou le choix d’une étoffe plutôt que dans le clinquant des étiquettes. Un virage qui s’impose jusque dans les ateliers les plus réputés, où la discrétion se mue en véritable marque de fabrique. LVMH, Prada ou Gucci adoptent ces nouveaux codes, écrivant une version contemporaine du prestige, tandis que des marques sportives comme Nike, Adidas ou Lacoste continuent d’occuper une place de choix en France, selon les mesures d’impact du secteur.
Prenons Lacoste, dont la visibilité a explosé récemment, symbole des tensions entre héritage et renouveau. Elle jongle entre presse, influence digitale et canaux maison pour affiner son image. Pendant ce temps, Nike et Adidas misent sur le poids des médias traditionnels et le pouvoir d’attraction de leurs égéries. Sur un autre terrain, des jeunes pousses comme Gymshark ou Hoka, qui ont fait intrusion dans la sphère du luxe et du sport, chamboulent le jeu avec des stratégies presque entièrement digitales, privilégiant largement le levier des influenceurs.
Quelques exemples permettent de mieux cerner comment ces marques dominent la course à la visibilité :
- Adidas, Nike, Lacoste : les trois marques de sport les plus repérées dans l’Hexagone
- Gymshark : 98 % de l’attention générée par la sphère influenceurs
- Lacoste : progression annuelle impressionnante en matière de notoriété
Le quiet luxury ne reste pas confiné aux maisons de couture. Il fait irruption dans le streetwear, infuse les collaborations inattendues, influence le design des sneakers les plus convoitées. Chez Adidas, l’équilibre entre la force des médias et celle des influenceurs façonne la stratégie. Nike, de son côté, concentre ses forces sur la presse spécialisée et relaye sa notoriété à travers les vedettes du moment. Si chaque acteur suit sa propre recette, tous partagent le même objectif : capter l’attention, sans sacrifier à la superficialité. Les nouveaux critères, eux, font la part belle à la finesse, à la rareté, à la capacité de savoir se faire remarquer sans faire de bruit.
Pourquoi ce courant séduit-il autant les grandes maisons et leurs publics ?
Le quiet luxury intrigue et attire car il s’accorde parfaitement avec la fatigue croissante d’un public saturé par les démonstrations d’opulence. Son attrait repose sur l’exigence de matières d’exception, la précision des détails, ces signes qui séduisent les connaisseurs plus que la foule. Prada, LVMH ou Gucci misent sur ce raffinement imperceptible, comptant sur l’œil exercé de leur clientèle pour reconnaître une signature ténue. Les acheteurs, eux, aspirent désormais à de l’authenticité, un luxe simple, plus confidentiel, affranchi des feux de la rampe.
Les tactiques de visibilité connaissent aussi leur révolution. Les médias historiques reculent, les réseaux sociaux et l’influence prennent de l’ampleur. Les données sont formelles : la quasi-totalité de la présence média de Gymshark est réalisée via les influenceurs ; The North Face s’appuie à près de 40 % sur ce levier ; pendant que Lacoste équilibre ses efforts entre médias, influenceurs et communication de marque. Chez Nike, la presse traditionnelle garde un poids considérable, et la notoriété s’incarne à travers des sportifs comme Kylian Mbappé ou Victor Wembanyama.
Quelques illustrations concrètes, pour appréhender la diversité de ces stratégies :
- Adidas répartit ses efforts entre médias et influenceurs avec une efficacité redoutable.
- Salomon module ses campagnes entre relations presse, influence et célébrités pour toucher tous les publics.
Dans le détail, cette transformation se mesure à chaque campagne : les marques disposent d’indicateurs pointus pour affiner leurs actions. La cadence de la mode s’accélère, les messages se font plus nuancés, la rareté et la discrétion deviennent des atouts pour séduire une génération plus avertie. Ainsi, la quête du raffinement passe aujourd’hui par le refus des excès, un art subtil qui ne perd rien de sa force.
Le marketing du luxe face au quiet luxury : rupture ou continuité ?
Face à l’irruption du quiet luxury, le marketing du luxe doit-il tout changer ou simplement ajuster le curseur ? Le débat anime les stratèges du secteur. Cette vague, revendiquant moins de tapage et plus de subtilité, impose une nouvelle façon de communiquer, où le message se glisse davantage qu’il ne s’impose, alors même que la création de valeur reste considérable.
Si les arènes médiatiques se diversifient, la finalité demeure la même : asseoir la puissance d’une maison et la faire rayonner sans forcer le trait. Les outils de mesure, toujours plus affûtés, offrent désormais un aperçu fin qui permet d’adopter des prises de parole plus mesurées, mais tout aussi percutantes.
Pour rendre ce virage tangible, certains cas deviennent emblématiques :
- Richemont mise sur une clientèle capable d’évaluer l’excellence d’un cachemire au premier regard, bien avant de l’essayer.
- Versace et Giorgio Armani puisent dans leurs archives pour insuffler une élégance discrète à leurs collections, sans jamais trahir leur identité fondatrice.
Le quiet luxury n’efface pas le passé, il en propose une lecture revisitée. Disponibilité sélective, gestes mesurés, choix esthétiques radicaux et raffinement minimaliste : Paris, Milan, chaque capitale interprète ce nouveau répertoire à sa manière, sans rien céder du rêve que continue de vendre l’industrie du luxe.
De Loro Piana à The Row : quand les marques réinventent la discrétion haut de gamme
En marge des mastodontes orchestrant l’écho médiatique, d’autres maisons font le pari inverse et choisissent la discrétion comme moteur de désir. Loro Piana incarne cette démarche : dans ses collections, la qualité d’un baby cashmere ou la justesse d’un drapé valent plus que toutes les étiquettes voyantes. Les coupes sont maîtrisées, la palette de couleurs restreinte, chaque élément est pesé.
De son côté, The Row s’illustre par une sobriété radicale. Créée par Mary-Kate et Ashley Olsen, la marque s’affranchit des codes traditionnels du luxe. Pas de logo, très peu de communication tapageuse, mais des vêtements à la coupe infaillible : le vrai luxe, c’est l’évidence du détail, la pertinence du style, reconnu par celles et ceux qui savent apprécier la subtilité.
Cette vision de la discrétion haut de gamme est loin d’être improvisée. Les campagnes restent rares, les collaborations limitées à l’essentiel, souvent à contre-courant d’une logique de volume. Exemple frappant : Nike s’entoure de figures du sport, Adidas opte pour des célébrités issues du digital ou du terrain, là où Loro Piana cultive l’entre-soi et la rareté. La vraie reconnaissance passe par les experts, les salons confidentiels, les conversations privilégiées entre passionnés.
Au fond, les chiffres donnent raison à cette stratégie du peu, mais du très bien fait. Les marques qui placent la rareté et la qualité au centre de leur proposition forgent une fidélité durable. Ici, la réussite ne se compte pas en volumes écoulés, mais dans l’art d’entretenir le désir collection après collection. Survivre à la dictature de l’instant pour s’inscrire dans le temps long, voilà sans doute le tour de force silencieux de ces acteurs.